mais si faibles et si abjects que nous soyons,il nous arrive à l'occasion d'entrevoir cet amour vrai et désintéressé. qui d'entre nous ne s'est jamais dit,dans son aveugle adoration d'un être hors d'atteinte: "qu'importe qu'elle ne m'appartienne jamais ! ce qui compte,c'est qu'elle existe, que je puisse l'adorer à jamais !".
Et bien qu'une opinion aussi exaltée soit insoutenable,l'amoureux qui raisonne ainsi est sur la terre ferme. il a connu un instant de pur amour. Nul autre amour , si serein , si durable soit-il,ne peut se comparer à lui.
Si fugace que soit un tel amour,pouvons-nous dire cependant qu'il y a eu perte de quelque chose ? la seule perte possible - et le véritable amant le sait bien ! - est le manque de cette affection impérissable que l'autre a inspirée. Ah ! le triste,le sinistre et fatal jour,celui où l'amant s'aperçoit brusquement qu'il n'est plus possédé,qu'il est guéri en quelque sorte,de son grand amour ! Le jour où,même inconsciemment,il ne voit plus en lui qu'une "folie". L'impression de soulagement que communique un tel réveil peut lui laisser croire en toute sincérité qu'il a retrouvé sa liberté. Mais à quel prix ! Quelle misère que cette liberté ! n'est ce pas une calamité que de contempler de nouveau le monde avec des yeux de tous les jours une sagesse de tous les jours ? N'est-il pas déchirant de se retrouver entouré d'êtres familiers et banals ? N'est-ce pas effrayant de penser qu'il faut "continuer" comme on dit,mais avec des pierres dans le ventre et du gravier dans la bouche ?
Ne plus voir que cendre là où,l'instant d'avant ,tout n'était que splendeur et beauté,là où des torrents de lumière et de félicité jaillissaient spontanément de quelque fontaine magique ? si quelque chose mérite le nom de miraculeux.n'est ce pas l'amour ? Quelle autre puissance,quelle autre force mystérieuse peut revêtir la vie d'une splendeur aussi indéniable ?
- NEXUS par henry miller.